La Bretagne mystique
Rêve
Je rêvais qu'après une course,
A genoux dans un bois profond,
Je me penchais sur une source:
Des étoiles tremblaient au fond.
J'avais soif et je voulus boire;
Une aile d'oiseau me frôla;
La source devient toute noire
Et l'oiseau me dit: Pas cela !
Respecte ces ondes sacrées,
Car cette qui coule à plein bords
Est faite des larmes pleurées
Par le regret vivant des morts.
N'apprend pas, avant qu'il soit l'heure,
Et que tes jours soient révolus,
Ce que cherche encore et pleure
L'oeil clos de ceux qui ne sont plus.
Aime la vie! Aime les voiles
Qu'elle tende de la terre aux cieux
Songe qu'en cette eau ces étoiles
Souffrent de n'être plus des yeux.
Anatole LE BRAZ
Evocation
Lutins malicieux, ô follets de Bretagne,
Qui, depuis deux mille ans, jouez sur la montagne,
Assez rire, la nuit, des buveurs attardés!
Songez à vos périls, nains, et nous
défendez!
Défendez, chevaliers, vos antiques murailles!
L'esprit nouveau s'abat et court dans la Cornouaille;
Nos pardons vénérés un jours seront déserts.
Et vous, bardes, l'oubli s'étendra sur vos vers.
Aux fils des anciens Francs la Bretagne est ouverte.
Bardes et chevaliers, saints des vieux temps; Alerte!
Arche des ponts, croulez! Poussez, bois défenseurs,
Et fermez tout chemins à ces envahisseurs!
Auguste BRIZEUX